La crainte de l’échec scolaire
L’École connaît de très forte mutation depuis le XIX ème siècle avec en 1833 l’obligation pour chaque commune de posséder une école, et en 1881-1882, l’école laïque, gratuite et obligatoire. Aujourd’hui, les effectifs sont énormes et la durée des études se fait plus longue qu’en 1950. En effet, à la fin des années 50, 5% d’une classe d’âge obtenait le baccalauréat contre 70 actuellement.
Pourtant, face au marché de l’emploi les choses se compliquent. François DUBET (professeur des Universités, directeur d’études à l’École des hautes études en sciences sociales ) dresse un triste constat : «quand les diplômes sont offerts à tous ou presque, leur utilité se renforce puisque l’absence de diplôme constitue une sorte de handicap, en même temps que la relation entre le diplôme et l’emploi devient plus incertaine. Les diplômes sont de plus en plus indispensables en même temps que décline leur valeur relative. On observe alors des processus de déclassement car les emplois offerts aux jeunes diplômés sont souvent très inférieurs à ceux que la longueur des formations pouvait laisser espérer. Par une sorte de paradoxe, la formation scolaire est de plus en plus indispensable aux individus alors même que sa « rentabilité » moyenne est de plus en plus faible. Cela affecte profondément la nature des stratégies scolaires et, à terme, la confiance même dans l’école.» (Source :Sociologie de l’éducation, Encyclopédie Universalis).
De plus, de nombreux déterminismes sociaux pèsent sur la réussite sociale et scolaire de l’individu. Les études montrent bien la corrélation qu’il existe entre difficulté sociale et difficulté scolaire. Selon Alain GIRARD (professeur honoraire à l’université René-Descartes-Sorbonne) et de nombreux sociologues, «la réussite est liée de la manière la plus étroite au niveau d’instruction. Presque tous les hommes haut placés sont des « diplômés », ou sortent des écoles publiques ou privées jouissant d’un prestige élevé ; en totalité, quand il s’agit de carrières dont l’accès dépend de la possession d’un diplôme particulier, et dans la proportion de six, sept, huit ou neuf sur dix dans celles où aucun titre déterminé n’est requis, comme la politique, les arts ou même, comme aux États-Unis, le sport. Ils ont donc prouvé leurs aptitudes, et le principe égalitaire est respecté dans la lettre. Mais la poursuite des études supérieures n’est le fait que d’une partie très limitée de la population. Il faut, pour y accéder et y réussir, appartenir le plus souvent à des milieux favorisés.»
Alain GIRARD estime dans sa conclusion que «quels que soient les dons ou les chances à la naissance, ils ne sauraient suffire en tant que tels pour assurer la réussite. Il y faut une volonté de réussir, une motivation, une « secrète exigence ». Les déterminants sociaux ne sont pas contestables, qui entravent ou qui facilitent l’apparition et la formation d’individualités capables d’assumer des fonctions de responsabilités.[…]Tous les enfants des milieux favorisés ne réussissent pas, tous les enfants d’une même famille n’atteignent pas la même réussite scolaire. Certains échouent quand d’autres parviennent à s’imposer, alors qu’ils avaient bénéficié au départ des mêmes avantages.» (La réussite sociale, Encyclopédie Universalis)
Ainsi face à une exigence sans cesse croissante du diplôme, la peur de l’échec scolaire devient obsessionnelle chez la grande majorité des familles. Durkheimestime que l’éducation a pour but de «susciter et développer chez l’enfant un certain nombre d’états physiques, intellectuels et moraux que réclament de lui et la
société politique dans son ensemble et le milieu spécial auquel il est particulièrement destiné ». L’éducation est sans contestation possible un enjeu et le redoublement est souvent considéré comme un échec. Les études montrent que le redoublement n’a pas toujours l’effet bénéfique escompté et qu’il laisse présager des difficultés scolaires futures. On constate que la majorité des élèves ayant redoublé l’école élémentaire se retrouve en difficultés scolaires au collège. Cependant, plus le niveau d’étude est important, plus le redoublement est bien vécu et donc bénéfique à l’élève. De plus, dans une société où l’instruction se généralise, les voies dîtes «professionnelles» sont souvent vécues par les familles ou par les élèves comme un échec ce qui accroit le nombre d’élèves des filières générales.
A partir des années 70, le thème de l’échec scolaire est devenu un objet fortement favorisé par les études de sociologie de l’éducation. Lors de la même décennie, des recherches montrent qu’il existe une corrélation entre la classe sociale et la réussite universitaire. Le mythe de l’école est alors mis à mal même si de nombreux élèves de classe sociale défavorisée passent entre les mailles de cette «logique».
Il est nécessaire de préciser que la notion d’échec scolaire est une notion tout relative. Francine BEST évoque bien cette idée dans son livre intitulé L’échec scolaire (Que sais-je?, édition PUF, 1996) : «Par ailleurs, le sentiment d’échouer varie d’un élève à l’autre, d’une famille à l’autre ; ce qui est un minimum à atteindre ou une déception pour une famille de cadres supérieurs ou d’enseignants diffère du tout au tout de ce qui est réussite exceptionnelle ou simple résignation pour une famille ouvrière. C’est déjà par extension que l’on évoque l’échec scolaire pour les élèves âgés de plus de seize ans, qui se trouvent donc hors obligation scolaire. Si l’on parle d’échec scolaire aujourd’hui pour les lycéens, c’est que l’échec au baccalauréat professionnel ou général peut conduire au chômage, autant que le fait de ne pas avoir son brevet, voire son certificat d’études dans les années 1960.»
Les familles attendent beaucoup d’une école censée assurer une ascension sociale pour leurs enfants. Mais l’école a des difficultés à remplir son rôle car elle se heurte à des difficultés plus générales : l’exclusion et le chômage. Du coup, elle perd de son sens et de sa valeur en ce qui concerne une mission essentielle : la transmission du goût pour la culture. C’est la raison pour laquelle les familles sont de plus en plus nombreuses à faire appel à des enseignements parallèles afin de remettre leurs enfants sur le chemin de l’apprentissage et de l’intégration sociale.